C’est en suivant un hélico de la Sécurité Civile que je suis tombé sur eux, le 23 mai 2012. Je pistais depuis un moment l’engin rouge et jaune qui apparaissait ponctuellement au-dessus des toits, un coup vers l’ouest, un coup vers l’est, il bourdonnait tous azimuts comme pour me faire tourner en bourrique. Pourtant, je tenais bon : à le voir voler si bas, je flairais le drame, le sauvetage imminent. Une compression automobile digne du sculpteur César attendait, j’en étais sûr, que j’appuie sur le déclencheur au prochain carrefour. Mais comme dans ces rêves où le but de notre cavalcade s’éloigne à mesure que l’on avance, la scène tant attendue, saturée de gyrophares, s’évaporait à chaque coin de rue. Le bourdonnement, bientôt, ne fut plus qu’un murmure.
Je commençais à me dire que, décidément, je ne ramènerais rien de cette virée dans le 2ème arrondissement, lorsque je faillis buter sur l’arrière-garde d’une meute de chiens étirée sur dix mètres. Cornaqués par deux grands noirs, ils cheminaient à la queue leu-leu sous le regard ébahi des passants. Ravi de tromper mon désœuvrement, je filai, tout aussi discrètement que je le pus, le train à cet étrange équipage. Perplexe, je m’interrogeai sur sa nature. Neuf clebs en vadrouille dans un quartier plutôt chic, ce n’était pas banal. Je songeai aussitôt à l’escorte hétéroclite de deux routards sub-sahariens. Certes, ceux-ci n’avaient pour tout bagage qu’un petit sac à dos, mais ils avaient pu entreposer le reste de leurs affaires à l’abri des regards. Les coins ne manquent pas, à Paname, où remiser ses bagages. Les SDF le savent malheureusement trop bien. Par ailleurs, le chien de tête, un berger belge aux babines patibulaires, tenait dans sa gueule une besace Adidas qui semblait avoir bourlingué. Dans mon esprit, il ne faisait aucun doute que le duo avait caché là son pécule : qui serait assez fou pour aller fourrager sous les crocs acérés d’un mâle dominant ? Ma religion était faite : cette caravane venait de loin, et y retournerait.
Un détail, cependant, aurait dû me faire douter, un détail de première importance : la race de certains chiens. Trottinaient en effet devant moi, outre le berger susmentionné, un labrador, un braque et un shiba inu. Le diable s’ils étaient tous originaires du Niger, ou de quelque autre contrée lointaine ! Quant au bouledogue français que je ne vis qu’ensuite, car dissimulé par ses congénères, il était tout à fait conforme à ceux que l’on croise, dupliqués à l’infini, dans le Marais. Un restau en a même fait son enseigne. N’eussé-je pas persévéré dans ma filature que je n’aurais jamais su la nature exacte de cette procession canine, certes diverse, mais admirablement policée, pas un aboiement plus haut que l’autre, et obtempération immédiate aux ordres des deux hommes. Ceux-ci, de leur côté, réagissaient promptement à tout imprévu de manière à ce que nul ne s’offusquât de leur passage. Plusieurs fois, j’assistai au délestage tant redouté, incident vite effacé par une main gantée d’un sac, lequel s’en allait illico gonfler la besace Adidas. Le porteur de cette dernière se révéla, sitôt les présentations faites, plutôt placide. Trimballer le caca des autres incline à la modestie.
Ponctuellement, des haltes avaient lieu. L’homme qui semblait être le chef extrayait un chien de la meute, ouvrait la porte d’un immeuble et disparaissait avec l’animal. Cinq minutes plus tard, il réapparaissait. Seul. Neuf au départ, les clebs n'étaient plus que deux lorsque je pris congé. Les propres chiens de Koffi, coach canin proposant des « promenades éducatives et ludiques ». Merci à lui pour son accueil et la latitude qu'il m'a laissée dans la mise en images de son périple.
Aucun commentaires pour l’instant.