Début 2015, alors que j'attendais mon RER à Villepinte-Parc des expositions, j’entendis une pétarade de tous les diables provenant de pas bien loin, cela allait et venait comme une ronde entêtante dont je peinais, sourcils froncés, à cibler l’origine. Bien que je ne fusse pas très au fait des us et coutumes des banlieues déshéritées et des grands ensembles livides qu’elles abritent, je me dis qu’il devait probablement s’agir là d’un rodéo de petites cylindrées artificiellement boostées sur quelque parking d’hypermarché discount. Fort logiquement, je m’attendais à entendre d’une minute à l’autre une sirène deux-tons s’inviter dans cette joyeuse farandole, et le vrombissement circulaire, bien régulier, métronomique, s’éparpiller comme une volée de moineaux. Aucun gyrophare n’ayant égayé le moche ruban de bitume enjambant la voie ferrée, je m’informai timidement auprès de l’unique voyageur présent sur le quai de la cause exacte de ce lancinant vacarme, car il pouvait bien se faire, après tout, qu’une meute de jeunes gens désœuvrés n’y aient point la moindre part. Et, de fait, il me fut répondu qu’il provenait du circuit Carole, ce flux et reflux sonore, quelques centaines de mètres seulement nous en séparaient. Carole… Ce prénom ne m’était pas inconnu. Dans un sursaut de mémoire très ancienne apparut la mine chafouine, toujours au bord de s’esclaffer, d’un collègue de travail accessoirement vice-champion de France de 50 cc, titre obtenu sur ce même circuit au début des années 90, ce n’était un secret pour personne. J’avais découvert toute l’étendue de ses talents dans le parking en sous-sol de la boîte où nous faisions les 3X8, c’était un dimanche. Benoît m’avait demandé si je voulais faire un tour à l’arrière du monstre qu’il chevauchait alors. Toujours curieux, j’avais obtempéré, inconscient que j’étais, bientôt slalomant follement entre les piliers, les yeux fermés mais la bouche grande ouverte, couinant dans son casque à m’en décrocher les amygdales…
Des bécanes pareilles à celle de mon baptême motocycliste, j’en ai vu un beau plateau lors de ma visite au circuit Carole, le 23 avril 2015. Des deux heures passées là-bas, moitié sur le paddock, moitié derrière un muret au plus près de la piste, je conserve tout un kaléidoscope de couleurs pimpantes, véritable arc-en-ciel éparpillé sur le bitume, du carénage au cuir protecteur, et cette odeur de gomme, tenace, obsédante, passablement écœurante pour qui n’est pas accoutumé à hanter les hauts lieux des chevaux délivrés, et puis, aussi, surtout, l’ambiance ici régnant, chaleureuse, tissée de franche camaraderie et de concentration extrême, une même passion irriguant les cœurs, éclairant les prunelles, la boutade fraternelle égayant le groupe après que la main sûre, experte, a réglé la rutilante, la bientôt fonceuse sur les deux mille cinquante-cinq mètres au terme trop vite venu, j’imagine, de ce ruban d’asphalte…